Ma vie mon oeuvre

Cet homme s'appelle Vladimir Franz, il est compositeur, a fait 7% à l'élection présidentielle tchèque de janvier 2013 et il est bleu. © Bjoern Steinz/www.oka2.com

En ces temps où montrer ses fesses à la télé apporte davantage de notoriété qu'en décrochant le prix Nobel de chimie, la recherche de (presque) tout un chacun pour la célébrité conduit au meilleur mais plus souvent au pire ... Petit inventaire en vrac de quelques toc-tocs et toqués originaux qui font parler d'eux, volontairement ou pas.

Consacrer sa vie à la réalisation d'une quête ou d'une œuvre, éloigne surement des basses œuvres qui nous occupent, nous, le reste de l'humanité. Alors, il y a celles et ceux qui décident, aux grands maux les grands remèdes, de dédier une partie de leur précieux temps, partie qui peut se compter en années ou en décennies, à une tache qu'eux seuls seront à même d'apprécier ou bien qui devra au contraire être offert aux yeux du monde.  

L'idée n'est pas nouvelle, il y a d'abord celles et ceux qui entreprennent de faire de leur propre corps une œuvre d'art, à l'instar de Lolo Ferari, Orlan, Valeria Lukyanova (la femme Barbie). Trois charmantes personnes qui n'ont franchement pas beaucoup de points communs, si ce n'est le fait d'avoir fait enduré à leur enveloppe charnelle, les pires métamorphoses.

"Facteur Cheval" des temps modernes, je souhaitais m'attarder sur les doux illuminés qui consacrent leur vie ou du moins une partie assez conséquente de celle-ci, à l'accomplissement de ce qu'ils estiment, à tord ou à raison, être une œuvre monumentale.
J'ai toujours été fasciné par Ferdinand Cheval, ce petit postier de village ayant vécu dans la Drôme entre 1836 à 1924, qui connu la célébrité pour avoir passé 33 ans de sa vie à édifier à partir de petits cailloux un « Palais idéal » puis encore huit années à bâtir son tombeau, tous deux considérés aujourd'hui comme des chefs-d'œuvre d'architecture naïve.
A la force de ses bras, armé d'une pelle et d'une brouette, jours après jours, Ferdinand Cheval bâti son palais en ramassant des pierres au fil de ses tournées pour en remplir son jardin et se faire ainsi une réputation de pauvre fou par son voisinage.

Pourquoi parler du Facteur Cheval ? Parce qu'à l'origine de ces quelques lignes, il y a ma découverte sur internet du travail de Jérémy Laffon, un artiste plasticien qui réalise des sculptures en chewing-gum. Partagé entre l'intérêt artistique ou plutôt esthétique et le sentiment d'une opération commerciale, et qui plus est un peu déjà vue, cette performance m'a fait penser au petit facteur de la Drôme, qui n'était pas plasticien pour un sous, qui ne se servait que de vulgaires cailloux glanés sur son chemin et qui surtout ne réalisait son palais que pour lui seul et surement pas pour en faire une œuvre d'art ni devenir célèbre.
Je ne cherche pas à dénigrer ni le talent de Jérémy Laffon, ni de sous estimer l'interêt de ses réalisations, seulement je différencie bien deux démarches différentes. Bien que la distinction entre le génie et la folie ne soit pas toujours simple, on aura tendance a avoir plus de considération pour le malade que pour l'artiste, l'un réalisant pourtant sa tache de manière finalement assez automatique et inconciente alors que le travail du second découle d'une réflexion créative.
Dans la catégorie des malades réalisant des taches "extraordinaires", l'anglais Stephen Wiltshire est également remarquable. Autiste, il est considéré comme un artiste et décoré de l'Ordre de l'Empire britannique. Or son talent réside précisément dans sa maladie puisque Stephen Wiltshire souffre du Syndrome du Savant, autrement dit qu'il est doté d'une mémoire absolue (ou mémoire photographique) qu'il met à profit pour reproduire sur papier des paysages dans le détail après les avoir vu pendant quelques instants.

Ayant toujours eu beaucoup d'intérêt pour celles et ceux qui, partant de rien, ou à partir de peu, fabriquent à la force de leur imagination ou de leurs propres efforts, une réalisation alliant création et travail long et fastidieux,je ne pouvais pas ne pas évoquer le photographe américain Noah Kalina auteur de la vidéo "everyday", un enchainement en mode image par image, de photographies de son propre visage prise chaque jour entre 2000 (il avait alors 19 ans) et 2006. Il a depuis, publié une nouvelle vidéo en septembre 2012, reprenant la précédente et la prolongeant de 6 ans et demi soit une série de photos de son visage sur 12 ans et demi.

Oui, la personne de droite est une vraie personne, elle est ukrénienne et s'appelle Valeria Lukyanova 

Le Facteur Cheval devant son Palais idéal - www.facteur-cheval.fr

 

"Noah takes a photo of himself every day for 6 years" de Noah Kalina (2006)

Jérémy Laffon réalisant "Le Trésor de Mexico" (2012)

 

Après un survol de New-York, Rome, Tokyo ... en hélicoptère, Stephen Wiltshire reproduit la ville sur papier à la fenêtre près.